Sur la route de Bombay, Bhopal

        Je ne raconterai pas ici la catastrophe qui a eu lieu à Bhopal en 1984 et fait tant de victimes. Quand nous y sommes passés, elle n'avait pas encore eu lieu (c'était en 1974)
        Si cette ville est restée mémorable pour moi, ce n''est non plus pas pour sa beauté : c'était déjà une grande ville industrielle.
        Mais c'est la ville où l'on nous a volé mon sac qui contenait les passeports, carte d'identité, argent (heureusement des travellers-chèques), carnet de passage en douane de la voiture, papiers des appareils photos, carnets de vaccination, mes lunettes, tout tout et le reste... Et, pour compléter le tableau, où nous avons eu un accident de la route ! Et c'était stressant !
        En ce qui concerne l'argent, heureusement (si je puis dire !) qu'un Inde l'essence étant très chère par rapport au coût de la vie quotidienne nous avions caché dans la voiture ce que nous avions prévu en espèces pour le carburent et les multiples crevaisons pour le voyage (prévu jusqu'à Goa et retour à Delhi). Nous avons vécu sur cette réserve jusqu'à l'encaissement des travellers (et nous ne sommes pas allés à Goa...)
        Ce vol s'est passé comme dans un spot publicitaire qui passait au cinéma (où nous ne sommes pas allés mais on nous l'a raconté) : quelqu'un vous fait signe que vous avez perdu quelques pièces de monnaie, vous remerciez, les ramassez et pendant ce temps... le forfait est commis....Pour moi, ça a très bien marché car nous venions de nous garer le long de la chaussée afin que mon compagnon aille acheter de la confiture pour le petit déjeuner, il avait juste pris des pièces dans sa poche et j'ai cru qu'il en avait laissé échapper. Voilà. P'tit déj. tranquille et... où est mon sac ???? pour payer les 2 thés... Il était sur mon siège pendant que j'avais ramassé le pièces....

        Stupéfaction
        Déception
        Colère
        Inquiétude
        Action
      Un tour au commissariat pour la déclaration de perte. Et là, la phrase que nous entendrons souvent émise par policiers, employés de consulat et autres fonctionnaires : What is your problem ? (l'employé me faisait penser à un personnage d'Hergé : bien calé dans son fauteuil, cheveux bien plaqués, chemise blanche, vêtements tirés à quatre épingles, petites lunettes, vous voyez ?). On s'explique, cela prendra la matinée...
        Nous constaterons d'ailleurs là que, même si officiellement le système des castes a été aboli en Inde, il est bien encore présent et officiel. En effet, sur le formulaire de déclaration de perte, figurent non seulement les nom, prénom et grade du fonctionnaire mais aussi sa caste…
         Nous décidons de continuer vers Bombay pour aller au consulat.
        Mais, sur la route du départ, dans l'après-midi, nous roulions dans une large rue qui semblait quasiment déserte quand je vois un homme marchant devant nous au milieu de la chaussée (cela n'avait rien de rare) mais la voiture ne ralentit pas et... nous le renversons. Nous nous arrêtons aussitôt. Il me semblait qu'on avait roulé sur lui, mon compagnon pensait avoir roulé sur son bras... L'homme est ko mais sans blessure apparente. Pourquoi il ne l'a pas évité ? Situation bizarre : il n'avait pas vu le piéton mais un cycliste qui roulait presque au milieu et s'était poussé et je n'avais pas vu le cycliste...  Aussitôt, comme jaillis des maisons, des gens arrivent et... nous rassurent "don't warry, don't warry" Je ne sais combien sont montés dans la voiture avec nous en embarquant le vieil homme accidenté ; nous l'avons conduit à l'hôpital. Nous étions inquiets, il ne saignait pas mais était sonné. Le médecin l'a à peine regardé et lui a donné quelques cachets. Les gens nous ont dit que ça allait, que nous pouvons partir.

         Nous n'avons compris que, si tout s'était si bien terminé pour nous, c'état parce que cet homme était un intouchable.... S'il avait été de caste supérieure, cela ne se serait sûrement pas passé ainsi même s'il y avait eu plus de peur que de mal.
         Nous reprenons donc la route de Bombay sans papiers avec juste une déclaration de vol...


Arrivée à Bombay

           L’arrivée à Bombay fut tout une épopée !
        Il faut dire que, comme d'habitude pour les longues distances, nous avions roulé toute la journée en prenant notre temps, certes mais nous n'avions pas imaginé ce qu'était (et ce qu'est sûrement encore plus maintenant) Bombay : une mégapole ! et ce n'est pas un vain mot pour cette ville ! Nous sommes arrivés dans la banlieue vers 17h et... nous avons roulé dans tous les sens toute la nuit... (malgré une plan) Nous avions l'impression d'être dans un labyrinthe ! et quand ce n'est pas un jeu de foire ça finit par être stressant ! et fatiguant ! Ce n'était pas non plus un labyrinthe de maïs ou autre végétal mais des rues sombres, des quartiers industriels ou sordides, souvent déserts (mais vue l'heure...) Dans ces cas-là, la nuit paraît très longue !
        Je crois que nous avons du parcourir Bombay dans tous les sens pour arriver finalement dans un quartier tranquille en bord de mer. Nous avons arrêté la voiture le long de la rue, sous des arbres, avons ouvert les vitres et tiré les rideaux (c'était des châles de Bénares qu'on faisait tenir je ne sais plus comment) et... gros dodo ! Nous avons pu constater que l'endroit était très calme même pendant la journée, près d'une plage, vers le nord de la ville. La bourgeoisie venait s’y promener les dimanches après-midi, hommes en chemise blanche et femmes aux saris multicolores portés de diverses manières très élégantes. Cela m'avait fait penser (malgré la différence de lieu) aux descriptions de la perspective Nievski qu'on trouve souvent dans les romans russes où les "belles dames et beaux messieurs" venaient se montrer dans leur plus beaux atours (mais cela a existé je crois dans toutes les villes du XIXe siècle et il est toujours des lieux où les snobs aiment se montrer...)
        Nous sommes restés là à camper dans la voiture environ 3 semaines (nous ne pouvions payer l'hôtel car c'était après le vol des papiers et travelers à Bhopal). Nous devions tirer au plus juste sur l'argent car nous ne savions pas combien de temps temps il faudrait pour avoir nos nouveaux passeport et... sans passeport, pas d'argent....

        Je ne m'étendrai pas sur l'accueil au consulat de France :
Nous : Bonjour Monsieur. Nous venons vous voir car on nous a volé tous nos papiers et l'argent. Nous voudrions savoir quelles sont les démarches à suivre ?
Lui : Votre carte d'identité s'il vous plait.
Nous : ?
Lui : oui, nous avons besoin d'un papier d'identité.
Nous : mais on vient de vous dire qu'on nous a volé TOUS nos papiers.
        Quand ça commence comme ça, je vous passe la suite ! C'est l'horreur ! On a à faire à des gens au cul coincé sur leur siège et la tête derrière leur ventilateur, on se demande même s'ils ont vu la ville ! les Indes n'en parlons pas ! (Peut-être les rochers de l'ambassadeur ?)
        (un voyageur allemand, dans la même situation que nous) a eu pire comme réponse à son consulat "Monsieur, prouvez-nous d'abord que vous êtes Allemand". Ca refroidit !)
        Heureusement pour nous, nos familles en France nous ont aidés, c'est ma mère qui a fait des démarches auprès de la préfecture.
        Pour en terminer avec l'histoire des passeport, nous ne les avons pas obtenus à Bombay mais à Delhi et là aussi problème au consulat : pas d'argent donc pas de passeport mais à la banque : pas de passeport donc pas d'argent... Voyez l'erreur... A mon avis, ce n'était pas à la banque de faire un effort mais au consulat d'aider des ressortissants de son pays. Ce qui fut finalement fait quand, plutôt en colère, j'ai proposé à l'employé de lui laisser nos 3 appareils photos (2 Pentax et un Vivitar -d'accord, Vivitar n'est pas le top mais quand même et tous les accessoires) ; il a refusé mais je les lui ai laissés en lui disant que les sacs m'encombraient le temps de retourner à la banque pour la énième fois !
        Mais après cela, tout ne fut pas terminé à Delhi, car le temps ayant passé, il a fallu demander des extensions de visas. Une journée au Service de l'Immigration ça valait la peine : les gens discutaient, mangeaient, prenaient le thé, les enfants jouaient... les Indes quoi ! (comme un dimanche à la campagne !) De toutes façons, ça ne sert à rien de s'énerver car ça ne change rien et ça pourrit la vie de tout le monde. Un voyage en Inde transforme une vie.
        Pourtant, le séjour forcé à Bombay a eu d'excellents aspects malgré le stress de l'arrivée, les paperasses dans un service consulaire très déplaisant et le manque d'argent qui n’était pas dramatique.


Bombay

        Oui, malgré le vol des papiers et de l'argent et l'accueil si déplaisant au consulat de France, le séjour à Bombay a eu de très bons côtés.
        Comme je l'ai écrit précédemment, nous avions élu domicile en bord de rue, sous des arbres, pas loin d'une plage, dans un quartier agréable. Les baignades étaient donc faciles (et sans frais de déplacement !). Le soleil se couchait côté mer et donnait à Bombay, au ciel et aux vagues des couleurs superbes. La température de l'eau était juste ce qu'il faut... mais un jour, marchant dans la mer les bras ballants (le nez au vent...) j'ai senti entre mes doigts quelque chose de frai et glissant ; le temps de baisser les yeux, j'ai juste pu voir une boucle grisâtre et brillante, comme un gros serpent ! (ou une anguille…). Renseignement pris en questionnant autour de nous, personne n'avait entendu parler de serpent de mer. Je ne sais donc toujours pas ce que c'était mais j'ai espacé mes baignades !
        Sur la plage et dans les proches environs, nous rencontrions souvent un charmeur de serpents et un homme avec son singe. Le singe aimait bien notre voiture pour se regarder dans le rétroviseur...
        A proximité de notre lieu de villégiature, il y avait une église et son presbytère dans un parc. Nous avons pensé aller demander de l'aide par l'autorisation de nous y garer. Mais cela nous a été vertement refusé...
        Mais c'est à Bombay que je me suis réconciliée avec le poisson. En effet, je n'en mangeais pas car cela m'ennuyait de trier les arêtes et je n'aimais pas leur parfum d'iode. J'ai aimé ici des poissons ovales et bombés, préparés avec des épices, juste grillés, servis avec du riz blanc. Depuis, je fais un effort pour les arêtes...
      Nous avons eu aussi l'occasion (par mesure d'économie) de prendre le train pour nos déplacement en ville et ça vaut l'expérience ! En effet, comme pour les autobus, nul besoin de marcher pour entrer dans les wagons : la foule vous porte ! Et tout le monde mange, parle, dort, tout le monde serré comme des sardines en boîte ! Mais avons là été étonnés de voir un homme plutôt jeune entrer et en déloger un autre beaucoup plus âgé de sa place assise pour la lui prendre et personne n'a bronché ni paru étonné. Peut-être encore des réminiscences des différences de castes.

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          Et n'oublions pas le garage Citroën !
        Nous étions las des tergiversations du consulat de France et avions décidé de retourner à Mérauli pour retrouver à l'Ashoka mission une agréable convivialité. Sur le chemin du départ mais encore en ville, un homme dans une... 2CV nous fait de grands signes. Nous nous arrêtons et il se présente comme garagiste Citroën-Bombay, passionné de voitures Citroën.... Il nous invite à retourner en ville pour faire une réparation dont notre voiture avait besoin (je ne sais plus quoi). Ce que nous faisons. Il nous propose également de nous loger dans un appartement vide qu'il possède dans un immeuble neuf mais pas encore loué. Nous acceptons. Il y fait apporter un lit, une grande cruche pour rafraichir l'eau, un réchaud à gaz...Nous y sommes restés une dizaine de jours environ. Il a fait la réparation de notre voiture et a insisté beaucoup pour nous l'acheter (il a refusé tout argent pour la réparation du véhicule mais a finit par accepter notre fer à repasser de voyage (pliable) ! Il possédait déjà des DS19, ID, tractions, 2CV qu'il avait essentiellement achetées au consulat de France. Nous avons refusé malgré le prix proposé (je ne sais plus combien mais c'était plus que l'argus en France + la caution du carnet de passage en douane + un dédommagement pour les inconvénients que nous aurions eu pour rentrer en France !). Merci encore à lui pour son hospitalité ! C'est aussi chez lui que nous avons goûté la plus fine cuisine indienne ; il était fier de son cuisinier qu'il disait être le meilleur de Bombay, c'était sûrement vrai !
        Et ce prolongement de séjour, nous a donné l'occasion d'assister à deux conférences données par Krishnamurti dans le parc de l’université !
         Comme quoi, il faut toujours voir les avantages des inconvénients !!!!