Parcours traversant l'Espagne

        Au départ d’Anglet (Pyrénées Atlantiques), en janvier 1971… Presque pas de sous mais l’argent n’était pas un problème car il nous en fallait peu, nos exigences pratiques étaient très modestes ; l’essentiel étant de voyager, de voir des gens, des lieux. D’autres cieux. Pour compléter notre budget, je faisais des dessins et les vendais dans les bars à l’heure de l’apéritif du midi ou du soir. Ca marchait plutôt bien : les gens sont très gentils (contrairement à ce que voudrait nous faire croire la morosité propagée par les médias actuellement et ce depuis pas mal d’années déjà !).
        Le charme de l’auto-stop (mis à part sa gratuité) est le fait de rencontrer toutes sortes de gens. On voit là que riches ou pauvres, les automobilistes s’arrêtent pour transporter des inconnus, souvent offrent à boire, parfois à manger. (ceux qui nous filaient sous le nez étaient tout aussi divers sûrement !) Les rencontres sont toujours intéressantes de par leur diversité. Toutes sortes de véhicules aussi : du semi-remorques à la 2cv en passant par la fourgonnette ou la grosse berline. Des gens bavards ou taciturnes. Alors plus d’homme que de femmes mais elles conduisaient moins que maintenant (et il y avait moins de voitures). J’ai adoré faire du stop.

L’Espagne :
        Pendant le parcours du départ, il faisait plutôt froid ! Je me souviens tout particulièrement d’une soirée affreuse à Madrid : il y avait tellement de brouillard qu’on ne voyait plus le haut des lampadaires ! Nous ne nous y sommes donc pas arrêtés pour fuir ce lieu si humide, au froid si pénétrant ! Et pour combattre le froid, parfois nous buvions un mauvais rhum… mais les degrés faisaient leur action et pour un moment nous avions l’illusion d’avoir chaud. Tout juste bon pour attraper un rhume ou une angine ! (ce ne fut pas le cas).
         La route continue avec ses aléas et ses petits plaisirs.
        Il y avait alors en Espagne (je ne sais pas si ça se fait toujours) pleins de petits plats servis avant les repas, avec l’apéritif. (nous ne nous payions pas l’apéro mais souvent, quand un automobiliste qui nous transportait s’arrêtait pour en boire un lui-même, il nous en offrait un aussi). Tous ces petits bols et coupelles ressemblaient à des « taraillettes » (joli mot employé dans le midi pour désigner les pièces composant les dinettes avec lesquelles jouaient beaucoup de petites filles). Y étaient servies toutes sortes de bonnes choses variant selon le standing du bar ou du restaurent, les régions et la générosité du patron ! olives, crevettes ou autres charcuteries et toutes sortes de préparation, comme des échantillons de la cuisine espagnole. Un régal !
        Nous avons un peu séjourné à Torre Molinos (sur la Costa del Sol) ; c’était alors une station balnéaire naissante. On commençait à construire beaucoup d’immeubles. Trop. Mais nous sommes surtout restés à Malaga, belle ville où nous logions près du marché central. C’est dans un jardin de Malaga que j’ai vu pour la première fois des cygnes noirs. C’était étonnant, presque déroutant, tant on est habitué à n’en voir que des blancs !
        En arrivant à Malaga, il faut goûter Le malaga, un vin liquoreux ; il en vaut vraiment la peine ! Mais bon, de temps en temps, sans plus. Un tel vin est plus lassant qu’un bon Gigondas !
        Lors de notre passage en Espagne au retour, non pas vendre des dessins sur papier dans les bars (plus possible d’acheter du papier et presque plus de crayons), mon ami et moi avions décidé de « faire des craies » (car nous en avions et les avions peu utilisées), ce sont des dessins à la craie sur le trottoir. Là aussi, ça marchait très bien. Mais…. C’était sans compter avec la bonne mentalité de certains commerçants ! Mon ami était parti acheter à manger et pendant ce temps un car de police est arrivé : je me suis fait embarquer ! J’ai su après qu’une commerçante les avait appelés. J’ai été arrêtée pour « mendicité sur la voie publique » !!!! Alors que je ne mendiais pas puisque j’offrais un dessin à la vue des gens ! Au gnouf pour 3 jours, visite de la brigade des stup et tout et tout !!! Conclusion : 1 semaine de prison ou une amende de je ne sais plus combien ! Mon ami a vendu sa guitare et j’ai pu sortir de là ! (heureusement car c’était une minuscule cellule sans fenêtre). J’espère que l’Espagne a changé après la mort de Franco ! Si un mendiant doit payer une amande pour sortir de prison, il a plus beau jeu d’y rester. Mais ne croyez pas qu’il y était nourri-logé : il fallait payer ses repas (enfin, ce qui en tenait lieu). Drôle de parenthèse dans le voyage !
        La route jusqu’à Algeciras pour prendre le ferry menant à Ceuta….Une enclave espagnole au nord du Maroc. Curieuse géographie (ou curieuse politique ?).
        J’ai adoré cette traversée ! J’aurais aimé que le vent souffle, que la mer bouge un peu mais bon, l’eau était de l’huile, le ciel un mur bleu, le soleil un gros point jaune… Pendant ce court parcours, à l’aller, nous avons eu l’occasion de discuter avec un Marocain et un Algérien. Ce qui m’avait étonnée (et interpellée comme on dit !) était le fait que l’Algérien disait que son pays était mieux que le Maroc car les Français y étaient restés plus longtemps qu’au Maroc (ce n’était pas ironique, nous avons discuté un bon moment).
        Une autre traversée de retour tout aussi tranquille. Mais alors elle a toujours moins de charme que celle de l’aller car elle ne nous conduit pas vers l’inconnu, la découverte.
        La route du retour repassera par Malaga, puis Barcelone et les Hautes-Alpes.


Maroc en auto-stop

        Je n’ai pas de souvenirs précis de Ceuta à part les passages en douane. Pas de problème particulier, pas d’animosité envers les auto-stoppeurs (ce qui n’était pas toujours évident de la part d’institutions et de personnes très conventionnelles !).
         Mais après Ceuta, c’est Tétouan ! et Tétouan est une ville superbe ! Est-ce que c’était parce que je vivais ma première fois hors de l’Europe ? la première fois de l’autre côté de la Méditerranée ? Je ne sais pas. Tétouan m’a enchantée et je n’en ai que d’excellents souvenirs ; toujours le même plaisir d’y retourner !  (s’il y a eu de mauvais moments, ils sont balayés !). Le style est composite : arabe et espagnol, donc unique : il est « tétouanesque », si j’ose dire. Merveilleuse ville blanche où l’on croise des musiciens, des porteurs d’eau, des femmes vêtues de diverses manières. De la couleur et du son. Egalement des odeurs, celles de la cuisine mais aussi celle de la teinturerie, des métaux martelés ; celles de rues vivantes.
        Le stop marchait bien et donc pas de problème pour continuer la route vers Fez, Mekhnès, Rabat, Casa. Nous pensions aller à Marrakech mais plus de sous ni assez de temps (nous voulions retravailler à partir du mois de juin et il fallait bien un mois pour trouver une saison correcte). Aussi notre route s’est arrêtée, pour ce premier voyage, à Essaouira. Si l’ancienne Mogador fait rêver, elle ne m’a pas enchantée. Je n’ai le souvenir que d’une ville basse et blanche, ventée, où rien ne m’a retenue… En revanche, de bon séjours dans les autres villes (Mekhnès est particulièrement belle et intéressante !).
          Dans les grandes villes les Médinas sont des lieux particulièrement attirants et agréables. Elles sont le cœur des villes. Souvent, la partie la plus ancienne d’où sont partis les rues, résidences, immeubles, nouveaux marchés pour rayonner et s’étendre, créant ainsi une nouvelle ville qui n’étouffe pas l’autre (espérons-le car il semble que ce ne soit pas toujours le cas depuis quelques années. Le Maroc, comme le reste du monde, n’est pas à l’abri des esprits mercantiles).
          En ce qui concerne ma vente de dessins dans les bars, ça marchait très bien dans les villes. Il va de soi que je n’en vendais pas dans les villages : les gens y sont pauvres. Mais à Casablanca ou Rabat surtout, on trouvait, dans la ville nouvelle, des bars luxueux où venait la clientèle très aisée. Ils étaient surpris et amusés par mon activité mais était généreux et nous avions l’occasion de discuter de choses et autres. Contrairement aux idées reçues, il y avait aussi pas mal de femmes, élégantes et non voilées. Des étudiantes, des employées de banque et autres administrations, des prostituées de luxe, des jeunes filles de bonnes familles venant prendre l’air…
         Quoi qu’il en soit, à la ville ou à la campagne, en stop, à moto ou en voiture, le Maroc est un pays très agréable où la lumière est très belle.