Lyallpur

         Nous avons séjourné quatre fois à Lyallpur. Comme je le dis dans un article précédant, nous y avions des amis, trois frères qui travaillaient dans l'industrie textile :  uisne, ferme avec champs de coton dans le sud. Vivre à Lyallpur était très agréable pour plusieurs raisons : non seulement c’est un plaisir de retrouver des amis mais ils habitaient dans un quartier tranquille ; c’est une grande ville (plus de 2 millions d’habitants) mais on se serait cru dans une petite bourgade.
         Leur maison était une habitation à deux étages plus une terrasse pour toit. Et la terrasse, c’est important : on s’y retrouve pour bavarder entre soi ou avec les voisins sur les autres terrasses…
        Au rez-de chaussée, une entrée qui donne dans un patio entouré de plusieurs pièces : la chambre du plus jeune des frères qui habitaient là (ils étaient trois), une petite salle à manger (utilisée surtout pour le petit déjeuner), une salle d’eau, un salon, un passage menant dans l’autre partie de la maison où vivait une femme qui faisait le ménage et la cuisine, là aussi un patio entouré de plusieurs pièces. Dans le premier rez-de-chaussée, des escaliers menant à l’étage où étaient les autres chambres et au-dessus à la terrasse,
        Dans la rue, souvent les gens sortaient leurs châlits pour faire un somme à l’air ; des zébus noirs dormaient par là aussi.
        C’est également dans la rue, devant les entrées des maisons, que des hommes tuaient des chèvres pour une fête musulmane (on préfère la chèvre au mouton au Pakistan). Ce qui m’a étonnée, c’est la façon presque tendre dont ils la tuaient, en lui caressant le dos… Etait-ce pour lui demander pardon ?

         Souvent aussi, quand nous étions dans la maison, nous entendions une sorte de chant : c’était des hommes qui parcouraient les rues vendant des œufs durs, des douceurs ou autres mets… Ceci était une pratique bien plaisante !
        Mais c’est à Lyallpur aussi qu’un jour je me suis “fait un remords” (si je puis dire !). Nos amis avaient leurs affaires à traiter et nous avions l’occasion de nous promener sans eux. Un jour que nous roulions en ville, très lentement parce que la foule était dense, un homme s’est amusé à ouvrir la portière de mon côté : une fois je ne dis rien, une autre fois je rouspète, encore une fois je l’interpelle (la voiture avançait aux pas ou était arrêtée comme les autres véhicules) et, une fois de trop, je sors et lui mets une gille sur la joue… à l’instant même j’ai regretté mon geste car sa peau était trop fine, trop douce, son visage sans résistance… (ce ne sont que des impressions, je ne sais pas qui était cet homme). Mais j’ai eu le sentiment de gifler quelqu’un de faible et j’ai eu honte de moi et de mon impatience… Il faut dire qu’après cela, nous avons roulé tranquilles !
        A Lyallpur, il y a un très beau et grand jardin (le Jinnah Garden) : pelouse ombragée et fleurie, des tables et chaises, des allées. Des hommes passent souvent dans ces allées et on peut les appeler, ils vont chercher du thé, des gâteaux.
         Un après-midi, nous étions en ville avec l’un de nos amis. Il a acheté des cigarettes. Quand il les a payées, nous avons constaté qu’il les payaient plus cher que nous la veille. Quand nous le lui avons signalé et lui avons demandé pourquoi, il nous a répondu : “c’est normal, je suis plus riche qu’eux et vous, même si vous êtes des étrangers, vous n’êtes pas riches. C’est normal que les riches payent plus cher que les autres”. La même situation, s’est présentée une autre fois pour payer du thé. A méditer…

        Il y a aussi les petites particularités alimentaires : un soir, ils avaient acheté des grenades (j’adore les grenades !). Le frère ainé en trie une pour moi, je n’ai pas eu le temps de lui dire merci qu’il avait déjà mis du sel sur les belles graines rouges…. Et oui, ils salent les fruits !
         Nous avions aussi l’occasion d’aller chez des voisins et relations de nos amis.
         Chez Akim Baba Munsof Ali, un vieil homme à la barbe blanche qui semblait tout droit sortir des contes de mille et une nuits… il nous a proposé des herbes aphrodisiaques…
        Chez d’autres voisins, j’était reçue seule, chez les femmes. Ce qui m’a étonnée là, c’est la liberté d’expression et l’humour des femmes ! Lors du second voyage, un après-midi où j’étais chez ces voisines-là et comme mon compagnon et moi n’avions pas d’enfant, elles m’ont carrément dit « M. John, no ? » en faisant une geste très significatif en passant l’index d’une main entre le pouce et l’index de l’autre main repliés l’un vers l’autre…. Je regrettais de ne pas parler urdu !!!
         Un autre voisin était instituteur. Il parlait anglais et nous pouvions avec lui comparer la vie des gens de France et du Pakistan (avec nos amis, c’était différent, ils étaient plutôt riches, l’instituteur modeste).
         Un ami de nos hôtes, avait lui-aussi une fabrique de textile. Avec nos amis et lui nous allions parfois au champ de courses à Lahore. Ils se moquaient gentiment de mon compagnon qui jouait des tiercés car eux misaient des sommes assez importantes sur un cheval (ou plusieurs)….L‘ambiance des hippodrome est quelque chose d’un peu particulier. Je n‘aime pas..
        Tant de petites choses ! Des petites chose de tous les jours, celles qui nous font un peu connaître les gens d’un pays. Que dire de l’hospitalité de nos amis ! Tellement d’attentions. Ils nous ont même demandé si nous avions envie de manger de la viande de porc (ils savaient que les Français en mangent); Bien sûr, nous avons décliné leur offre. Mais l’attention était particulièrement généreuse de la part de personne qui n’utilisent jamais cette viande.
         Tout cela, c’est Lyallpur, ce sont nos amis, ce sont les musulmans.

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Un peu d'histoire

         Lyallpur est depuis de nombreuses années une ville industrielle, vaste, pas particulièrement belle mais agréable à vivre. Elle est la deuxième ville du Punjab après Lahor.
        C’est une ville active. Elle a été structurée en 1890 dans le Punjab et porte le nom du gouverneur de cet état : Sir James Lyall. (le Punjab faisait alors partie des Indes). Une agglomération était déjà préexistante. D”importants travaux furent initiés pour aménager des canaux et maîtriser les rivières d’une région trop sèche ou inondée afin de favoriser l’agriculture.
          En 1895 la voie ferrée est arrivée à Lyallpur, favorisant encore son développement.
          En 1902, la population atteignait 4 000 habitants.
       En 1904, l’université d'agriculture est fondée. Elle connaîtra un large essor et une grande notoriété.
        En 1947, après l’indépendance et la cession des Indes en deux états, Lyallpur est devenue pakistanaise (l’état du Pakistan musulman comporte deux parties qui sont maintenant le Pakistan Occidental et le Pakistan Oriental. Son développement s’accroît encore. Elle compte 500 000 habitants.
         En 1971, le Pakistan devient deux états indépendants : le Pakistan et le Bangladesh.
         En 1977, la ville change de nom : Faisalabad en hommage au roi de Faisal d?Arabie Saoudite : Shah Faisal-bin-Abdul Aziz.
        L’essentiel de son industrie vient du textile : le coton surtout mais aussi la soie ; de nombreuses filatures induisent des manufactures de vêtements, sus-vêtements et autres habits. On y trouve également des savonneries, des sucreries (les plantations de cane-à-sucre sont importantes dans cette région), des conserveries ; également l?industrie chimique et les engrais.
          Avec plus de 2 millions d'habitants, Faisalabad est la troisième ville du Pakistan.


Lyallpur, la place

        La ville de Lyallpur est articulée autour d’une grande place qui a en son centre une sorte de grosse tour portant une horloge.
         C’est une très grande place où l’on trouve toutes sortes de commerces mais surtout des restaurants. Puis il y a des bazars. Il y a toujours énormément de monde qui circule à pieds surtout, à vélo, quelques voitures.
      La particularité est que beaucoup de restaurants sur son pourtour sont spécialisés : ici, ce sont des currys de chèvre, de lapin ou autres viandes, très relevés ; là, surtout des curry de légumes ; ailleurs des brochettes et côtelettes grillées ; plus loin, des plats de riz sucré et autres desserts.(Mais à l’étage, ce sont des restaurants plus classiques).

        La première fois que nous avons mangé sur cette place, nous avions pris un curry de chèvre très très relevé ! Nous n’étions pas encore très habitués à manger des plats aussi relevés ! Le marchand, voyant notre gène, nous a indiqué un autre restaurant où l’on vendait du riz sucré et épicé (mais pas pimenté !).
        Sur la photo, on peut voir le boucher et ses ouvriers qui préparent les brochettes. Il est carrément assis sur la table où se trouve la viande et ça ne choque personne. Les côtelettes et autres viandes sont à l’air libre et c’est normal. On a d’ailleurs pas eu de problème de santé dû à ce qu’en Europe on appellerait un total manque d’hygiène….

       Dès le Proche Orient aussi, on voit toujours ces boutiques vendant surtout des fruits. Des fruits bien triés, bien rangés, en pyramides, en sachets, bien brillants.
        C’est au Pakistan que j’ai goûté pour la première fois des goyaves. Et ça a été difficile de connaître le nom français. Ici, on dit « amrud » (je ne connais pas l’orthographe). Revenus en France, quand nous avons voulu parler de ce fruit, cela a été difficile ! Comment décrire un fruit ? Ca a la forme d’une pomme ou d’une passe-crassane mais la peau est fine. La chair a la consistance de celle d’une poire et le milieu est comme celui des courgettes : de nombreuses graines entourées de chair… Le goût ? Et bien, il est unique !


Au bord du canal

           Parmi les amis de nos amis, il y avait des garagistes-moto (Honda). Le petit garage était dans une rue où se trouvaient d'autres réparateurs-vendeurs de motos.
           Mais quand on traversait l'atelier, on arrivait à une porte qui donnait sur un terre-plein et un canal. Nous avons passé des heures là à bavarder, fumer, boire du thé ou des boissons fraîches, d'autres personnes venaient parfois nous y rejoindre, même un saltimbanque avec sa chèvre et son singe…
          Et ce canal était tout un reflet du quotidien de nombreux Pakistanais adultes, enfants. Des femmes venaient laver le linge avec du savon, la vaisselle (pas avec du détergent mais elles la frottaient avec de la terre et des cailloux puis la rinçaient). Des enfants jouaient, vaquaient à leurs occupations. C'étaient des gens pauvres. Mais une vie digne et simple.
            Pourtant, il est évident que voir toutes ces activités dans le canal nous étonnait ! Laver la vaisselle, le linge dans un canal, ce n'est pas comme dans une rivière où l'eau est vive !
            Mais c'est ici que nous avons passé beaucoup de temps ! Parlé de tout et de rien, de la vie de chacun, d'une promenade que nous allions faire, décider quand nous irions passer un après-midi avec les saddhous. Ces moments se sont renouvelés à chacun de nos passages. C'était un bonheur !

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Le saltimbanque

        Lors de l’un de nos multiples après-midi derrière le garage, au bord du canal, un saltimbanque passait dans la rue; quelqu’un l’a appelé et il est venu avec ses animaux nous faire une démo de ses talents.
        Une chèvre était surélevée petit à petit sur des pièces de bois que l’homme rajoutait. Ses quatre pattes bien serrées, elle faisait tous ses efforts pour tenir sur une si petite surface ! Un singe, qu’il tenait en laisse, faisait des mimiques. Il était habillé avec pantalon, veste et képi… Les clichés semblent universels !
        Une chèvre et un singe, le Vitalis pakistannais n'avait pas M. Capi... Je n'ai pas vu Rémi.

    L’impression que me fait ce type de spectacles est étrange : un mélange de compassion pour les animaux et de tristesse pour l’homme… Pourtant, il y a toujours là une poésie sous-jacente.



Avec les saddhous

        C’est dans un cimetière que nous allions quelques fois, avec le plus jeune des frères chez qui nous habitions, pour passer l’après-midi avec un saddhou musulman qui séjournait là. Il s’appelait « Golé Shah » (ce qui signifie « le cheval shah »). Autour des saddhous, venaient les « charsis » (fumeurs de shars, le hachich). Uniquement des hommes. En temps qu’étrangère et invitée de notre ami, j’étais acceptée.
        Gollé Shah était un vieil homme. Une grande partie de sa vie, s’était passée sur les routes et il était revenu s’installer ici pour passer sa vieillesse. A la périphérie intérieure du cimetière, des personnes vivaient… Tout cela n’avait rien de triste, au contraire même. Il ne s’agissait pas d’une gaieté exubérante mais plutôt d’une sorte de paix. L’atmosphère était aimable, tolérante.

        Nous avons rencontré là d’autres saddhous dont je ne me rappelle plus les noms (ou surnoms). L’un d’eux était juste vêtu d’une sorte de caleçon rouge déteint et recouvert de cendre de la tête au pieds. Ses cheveux longs et tressés étaient aussi recouverts de cendre ; un autre, également assez jeune, cheveux noirs, de nombreuses bagues à ses doigts, des vêtements de couleurs vives est venu une fois. Nous y avons également rencontré deux autres vieux saddhous, amis de Golé Shah. Leur vie s’était passée sur les routes, avait été faites de rencontres, de prières, de méditation. Leurs propos racontait leurs expériences, de la vie, de ce qui est profondément humain. Quand ils parlaient de dieu, c’était de l’amour, sans discrimination…
        Les deux plus jeunes menaient toujours la vie de moines errants ; ils ne faisaient qu’une pause à Lyallpur.
        Un saint était enterré dans ce cimetière, de nombreux fidèles venaient se recueillir sur sa tombe, lui rendre hommage. Nous y sommes allés mais je n’ai pu passer la porte de ce petit mausolée car ce lieu est interdit aux femmes. Mais j’étais à proximité. Mon compagnon a, lui, approché la tombe, accompagné de Golé Shah et d’un autre vieux saddhou..
        Au cimetière venait aussi un homme un peu particulier. Un peu fou, peut-être… On pouvait voir une petite colline… qui n’était pas naturelle. C’était lui qui l’avait « montée « . A la pelle. En prenant énormément de temps. A côté de la colline il y avait un trou… Sur la photo, cet homme est celui qui porte sur la tête un chapeau-cloche ondulé.


Avec les petites filles

        En séjournant à Lyallpur, et en temps que femme, j’ai côtoyé les enfants et surtout les petites filles. Elles étaient très rieuses et curieuses, certaines timides.
      Les petites voisines venaient à la maison, on essayait de se parler mais le moyen de communication le plus courent était les sourires… 

        Vivant à la ville ou à la campagne, elles aimaient bien venir me regarder. Je portais des cheveux longs comme la plupart des Pakistanaises et elles s’étonnaient de mes longues tresses (qu’elles m’ont fait rallonger en y ajoutant des groupes de fils noir ou rouge que l’on tresse avec les cheveux quand on arrive à la moitié). Elles s’étonnaient aussi de me voir sans bijoux. On m’a ainsi donné une bague ornée de cabochons de verre mauve, des bracelets de verre multicolores qu‘on a passés à mon poignet en l‘enduisant d‘huile (car ils étaient très petits et notre ossature est plus épaisse que la leur et surtout nos mains moins souples et fines), un collier de plastique rose portant en médaillon une inscription écrite en arabe classique « Allah est le seul Dieu, Mahomet est son prophète ». J’ai toujours ces cadeaux en ma possession. Elles m’apportaient parfois aussi un mouchoir brodé, un dessin… 

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A la ferme

        Nos amis avaient des plantations de divers légumes, céréales et autres plantes, à proximité de Lyallpur dans une ferme où nous avons eu l’occasion d’aller. Plusieurs familles vivaient là pour assurer tout le travail de culture, entretien des animaux etc Ces personnes n’étaient certainement pas riches mais vivaient là dans une certaine assurance de vie acceptable.
        A la saison où nous y sommes allés, les champs de canne-à-sucre étaient proches de la maturité et il y avait du blé à battre.
        De nombreux animaux aussi. Des zébus pour le travail, pour le lait, la viande ; des zébus blancs et d’autres noirs. Mais aussi, des ânes, des chèvres, des volailles.
        Je crois que la propriété était assez vaste car il y avait de nombreuses plantations.

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